L'humain est malade
Vous vous souvenez de votre copine Charlotte, au fond du trou après sa dernière rupture ? Cheveux gras, affalée sur le canapé, en jogging… Oubliés les bonnes résolutions de l’année, son abonnement à la salle de sport et ses livres entassés. Elle s’empiffrait de chips et de chocolat devant ses séries préférées et des films sentimentaux où à la fin, le prince l’épouse et ils vivent heureux jusqu’à la fin des temps. À quoi bon faire attention à soi puisque personne n’est capable d’apprécier ses efforts ? Autant se faire plaisir !
Vous avez passé des heures à la réconforter : Non, elle n’est pas nulle, c’est lui qui ne s’est pas rendu compte de ce qu’il perdait, il ne mérite pas ses larmes. Non, elle n’est pas grosse et moche, elle est juste triste, ça va aller mieux très vite… Elle a vidé des boîtes entières de mouchoirs pour essuyer ses larmes. Et puis un jour, elle s’est repris, et est allé de l’avant, se jurant de ne plus se faire avoir par un mec de ce genre. Et vous avez retrouvé votre amie.
Vous voyez la similitude avec tant de gens autour de vous, vautrés devant la télé-réalité, à manger des plats à emporter ou du surgelé ? Ils n’ont plus goût à cuisiner pour leur famille, plus le temps de lire ou de jouer, pas envie de discuter, la flemme de prendre soin de leur corps… Elle est où la rupture, pour eux ? Ne seraient-ils pas en désaccord avec eux-mêmes, renonçant à une relation avec celui ou celle qu’ils auraient voulu être ? La société dans laquelle nous vivons nous coupe de nous-mêmes :
Petits, nos parents n’ont pas le temps, ils sont stressés, courent de droite à gauche, ils ne nous apprennent pas à prendre soin de nous et ne nous montrent pas l’exemple non plus. Ils sont malheureux et pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix, ils font avec. Pas le temps pour les émotions, les envies, les câlins ou les jeux.
A l’école, on doit se conformer aux règles, se tenir tranquilles, faire comme tout le monde, suivre au même rythme que les autres, ne pas trop poser de questions, et puis restituer ce qu’on a appris de la manière voulue. Pas de coopération, peu d’individualisation du travail et des objectifs, on est sans arrêt notés, jugés, contraints, et on met en avant principalement ce qui est raté ou incorrect. Celui qui est différent est méprisé par l’adulte et harcelé par ses pairs. J’ai été enseignante, je sais à quel point on arrive avec tant d’espoirs, de bonne volonté, et à quel point il est facile de se faire broyer par cet environnement, et de baisser les bras, de porter sa frustration sur ce qui ne va pas comme on veut. On ne nous apprend pas à exploiter les différences des uns et des autres, les facilités des uns pour pallier aux difficultés des autres, la coopération, l’entraide, les discussions prenant compte des avis divergents et des différentes façons de voir les choses. On ne nous apprend pas non plus nos corps, sauf dans leur aspect biologique. Le sport est une contrainte et cause souvent douleurs, jugements et moqueries pour ceux qui ont moins de facilité ou à qui les propositions ne correspondent pas. On ne nous apprend pas non plus à nous nourrir correctement. Les repas ne sont pas souvent équilibrés ni savoureux. On subit et on se conforme.
Au travail, on se plie aux contraintes horaires, à la répétition des tâches, à l’ennui et la fatigue. Chacun garde sa place et on ne se fait pas remarquer. Interdiction de trop réfléchir, de critiquer ou de contredire le chef. A chacun son rôle et gare à qui outrepasse ses fonctions. On ne peut pas faire autrement, c’est à ce prix qu’on est intégré dans la société.
Et une fois qu’on n’est plus bons à rien, qu’on est trop vieux ou handicapé, on nous parque dans un institut, on nous isole de la société active, des valides. On n’y mange pas bien, on nous propose quelques activités pour nous distraire, personne n’a de temps pour nous. Souvent, on est obligé de se séparer de la maison familiale et des souvenirs pour payer sa place. On attend la mort.
Résultat : on ne sait pas qui on est, on ne connaît sa valeur qu’à travers notre productivité. On n’a aucune notion de ce qui est bon pour nous, on ne sait pas prendre soin de nous, donc on se tourne vers l’extérieur quand ça ne va pas. Et ce sont ceux qui parlent le plus fort et communiquent le plus qui réussissent à se faire entendre. Souvent ceux qui proposent des remèdes miracles, des solutions rapides et sans effort. Prendre soin de soi devrait-il être un effort ou est-ce juste une attention à certains signes que l’on n’apprend à décrypter qu’en nous consacrant un peu de temps ?
Le temps est peut-être venu de nous poser un peu, de rassurer et de valoriser notre enfant intérieur, celui qui a été brimé et étouffé depuis le début. Il est temps que nous nous occupions de nous, de notre corps, de notre âme, de notre environnement et notre entourage. Que voulons-nous pour nous et pour nos enfants. Est-ce que le monde tel qu’il nous est proposé nous semble à notre goût ? Est-ce qu’il est viable et même souhaitable ? Qu’est-ce que nous avons envie de construire ? Quel serait notre monde idéal ? Course au toujours plus, ou équilibre? Est-il vraiment utopique de rêver une société dans laquelle chacun aurait une place choisie, dans laquelle on aurait du temps pour nous, nos proches et nos loisirs, dans laquelle on aurait suffisamment pour ne pas stressé sur comment manger, se vêtir ou où habiter ? Je pense que cette société débutera quand nous cesserons de renoncer à nous.